Centrafrique : qui a peur de la Vérité

 

Centrafrique : qui a peur de la Vérité. CVJRR
Centrafrique : qui a peur de la Vérité. CVJRR

 

     C’est la question qui se pose aujourd’hui, après que le bureau de la Commission Vérité, Justice, Réparation et Réconciliation (CVJRR), installé le lundi 14 avril 2025, sous le contrôle de Jean-Pierre Guerekpidou, Inspecteur d’Etat, a été suspendu sur ordre de Mme Josiane Lina Bemaka-Soui, ministre de l’action humanitaire et de la réconciliation nationale. Présidé par Arnaud Yaliki et comportant deux vice-présidents et 3 présidents de sous-commissions (Vérité, Justice et Réconciliation), ce bureau était constitué de onze membres.

En apparence, cette composition n’a pas rencontré la faveur de la ministre qui verrait bien sa protégée, Mme Marie-Edith Douzima, être reconduite à la tête de ladite commission.

 

Ce n’est pas la première fois que pareille mésaventure arrive. Le 03 mai 2024 déjà, après intervention de la ministre en conseil, décision avait été prise de faire intervenir les forces spéciales de la gendarmerie nationale pour expulser les membres de la CVJRR et fermer leur siège, au prétexte d’un vice de procédure : par un vote à la majorité, les membres de la commission avaient exprimé leur désaccord vis-à-vis de la présidente de la commission, Mme Douzima (1). Le décret présidentiel du 07 mai 2024 a mis fin à la mission (2).

En réalité, le pouvoir a eu peur de l’indépendance affichée de la commission qui était arrivée à un moment crucial de ses travaux : la période 2012-2016, entre la chute du président François Bozizé et l’élection de Faustin Archange Touadéra et son investiture le 30 mars 2016.

C’est la période la plus sombre et la plus sanguinaire de l’histoire du pays, marquée par l’insurrection armée des rebelles de la Séléka et leur incrustation au cœur du pouvoir.

Il se trouve qu’à la suite des Accords de Khartoum du 2 février 2019, certains membres influents de cette rébellion, bourreaux de leur peuple, siègent autour de la table du conseil des ministres !

 

Créée à la suite du Forum inter centrafricain de Bangui en mai 2015, la CVJRR a été installée par la loi organique du 17 avril 2020, et ses 11 premiers commissaires intronisés le 02 juillet 2021. L’objectif de la commission vise à la refondation d’une mémoire collective en ayant pour rôle, « d’enquêter, établir la vérité, répartir les responsabilités sur les évènements graves survenus depuis le 29 mars 1959 » (mort de Barthélémy Boganda dans un accident d’avion) !

La suspension de la CVJRR de M. Yaliki intervient au moment où le pouvoir de Bangui, en pleine effervescence pour la candidature du président Touadéra à un troisième mandat présidentiel, négocie avec les groupes armés des chefs rebelles Ali Darrassa, Mahamat Al-Khatim et Bobo, les engageant à ne pas perturber les élections générales, en échange de quelques viatiques (subsides) et de leur participation au gouvernement.

La nomination d’Arnaud Yaliki à la tête de la commission, en sa qualité de président de l’Observatoire centrafricain de justice transitionnelle d’une part, mais aussi comme l’un des rédacteurs de la constitution du 30 août 2023 d’autre part, devait faciliter cette candidature (3). Ce dernier se trouve cependant au centre d’un conflit d’intérêts ! En effet, comment être un juge impartial quand on a œuvré à la naissance d’un « monstre », celui de la division des Centrafricains, entre ceux d’origine et les binationaux ? Il n’est plus question  de Vérité, mais aussi et surtout de Justice, seule capable, une fois rendue et acceptée, d’être « le signe de la miséricorde et de la réconciliation » (4).

 

Au moment où le monde entier porte le Pape François en terre, en vue de sa Résurrection à la Vie éternelle (5), souvenons-nous de sa déclinaison de la devise « du pays comblé des bienfaits de Dieu », la République centrafricaine :

-          L’UNITE est à vivre et à construire dans la diversité ;

-          La DIGNITE renvoie à l’honnêteté, la loyauté, la grâce, l’honneur et la solidarité aux pauvres dans le pays du ZO KWE ZO ;

-          Le TRAVAIL a pour finalité d’améliorer les conditions de vie et construire une société prospère avec un esprit de solidarité traduite par les ancêtres dans le proverbe « les fourmis sont petites, mais en étant nombreuses, elles ramènent leur butin dans leur nid ».

Si le président Touadéra est conscient de ses responsabilités et fait siennes ces considérations, alors il est temps, pour lui, de « passer sur l’autre rive » (6).

 

Paris, le 26 avril 2025

 

Prosper INDO

Economiste,

Consultant international.

 

(1)   – Mme Douzima, avocate de profession, continuait de plaider, au prétexte que le métier d’avocat est une fonction libérale, alors que le statut de membre de la CVJRR est « incompatible avec tout autre fonction publique ou privé ». Or ces absences répétées nuisaient au fonctionnement régulier de l’institution qu’elle est sensée diriger. Il semble que l’exemple vienne d’en haut, puisque le président Touadéra continuait à donner des cours à l’université contre vacations, malgré ses fonctions de chef de l’Etat, incompatible avec toute fonction publique et privée.

(2)   – A la vérité, d’autres causes liées au dysfonctionnement interne de la commission sont mises en avant : indélicatesse, mauvaise gestion avérée, utilisation abusive de ressources matérielles, etc.

(3)   – Les autorités ne veulent pas que la lumière soit faite, par exemple sur la disparition du médecin colonel Charles Massy en décembre 2010 (un mort sans cadavre), ni sur l’entrée des éléments de chef rebelle ougandais Joseph Kony de la LRA en RCA, en septembre 2012, tous évènements graves survenus alors que Faustin Archange Touadéra était Premier ministre du président François Bozizé.

(4)   – Sa Sainteté le Pape François a visité la République centrafricaine du 29 au 30 novembre 2015, à l’invitation de la Conférence de l’Episcopat Centrafricain (CECA) sur le thème « Passons sur l’autre rive » (Luc 8.27).

(5)   – Alors que le monde entier prie et prépare l’inhumation du Pape François, la délégation centrafricaine, conduite par M. Touadéra et sa ministre des affaires étrangères, se donne en spectacle planétaire, arrivant impromptue vendredi 25 avril 2025, en violation du protocole établi pour la réception des chefs d’Etat et de gouvernement prévue le samedi 26 avril 2025, jour de l’inhumation du Saint Père ! Ils ont agi plus par amateurisme que par malice. Etant Méthodistes et pas Catholiques, ils sont donc ignorants du droit canon, malgré la présence au sein du gouvernement d’ancien séminariste défroqué, à l’exemple du ministre de l’économie, du plan et des relations internationales, Richard Filakota.

(6)   – Oui, le président Touadéra ferait bien de passer la main, au lieu de prêter attention aux pitreries de son « mégaphone », Fidèle Gouandjika. Ce dernier, parce que marié à une Roumaine, croit avoir hérité des dons médiumniques des Gens du voyage qui prétendent lire l’avenir dans les signes de la main. La politique est une science des méthodes, pas un art divinatoire exercé par des charlatans.