En Centrafrique l'indicible a eu lieu (suite) : Le régime de la honte

 

     En réponse à l'accusation portée le 9 avril 2025 contre des soldats qui se sont illustrés par des violences sur des villageois sans défense, le pouvoir centrafricain fait preuve pour une fois d'une inhabituelle célérité. Le régime de Bangui a fait une mise au point le jour même, sous la signature du chef d'état-major des forces armées centrafricaines (FACA). Sans doute emporté par son élan de bien faire, le communiqué du haut gradé est un tissu de mensonges et de contradictions.

Résumons : la vidéo incriminée est vieille de plus d'un an (1) ; les personnes bastonnées violaient l'interdiction, pour leur propre sécurité, d'accéder à des sites miniers déclassés et abandonnés (2) ; les soldats fautifs ont été relevés et sanctionnés par un conseil de discipline conformément au règlement de l'armée nationale (3) ; « pour éviter l'infliction délibérée de douleurs et de souffrances physiques, souvent dans un but de punition et d'intimidation, une mission de l'Inspection générale de l'armée nationale a été dépêchée sur les lieux pour enquêter sur les faits » (4);etc.

 

1 – Le retour aux affreuses pratiques des compagnies concessionnaires coloniales

En réalité, ce rideau de fumée destiné à dédouaner le gouvernement de ses responsabilités et à amadouer la communauté internationale, cache une entreprise juteuse d'enrichissement personnel de certains hauts responsables politiques et militaires.

En effet, les soldats concernés, qui d'ailleurs apparaissent en uniformes dépareillés, parfois sans grades ni signes distinctifs, et sans armements en dotation, appartiendraient à la sécurité présidentielle. Il s'agit d'un contingent spécial de 4 000 militaires, dont 1 400 sont affectés à la protection des sites miniers chinois. On renoue ainsi avec les pratiques coloniales, au temps de concessions commerciales et minières (5).

En contrepartie de cette mise à disposition, les orpailleurs considérés verseraient 300 000 francs CFA par mois par soldat, soit une somme mensuelle de 420 millions de francs CFA, représentant la bagatelle de 5 milliards et 40 millions de francs CFA dans l'année !

La moitié de cette somme serait dévolue au chef d'état-major des armées (CEMA) pour « service rendu » ; un butin de 2 420 000 000 francs CFA que l'heureux bénéficiaire doit, sans doute, partager avec ses supérieurs hiérarchiques !

 

2 – Faustin, Simplice, Évariste et Richard, les frères Dalton de la RCA

Contrairement aux images véhiculées par les bandes dessinées du cow-boy Lucky Luke, avec Joe, William, Jack et Averell, les frères Dalton ont bien existé. Ils ont pour noms: Bob, Grat, Bill et Emmett. C'étaient de véritables hors-la-loi, aussi bêtes et méchants que leurs sosies.

Au regard de ces derniers, entre les rackets institués auprès des agents de l’État pour renflouer les caisses du parti MCU ou financer les manifestations et festivités des milices du pouvoir, la mise à disposition monnayée de militaires au service des personnes morales et physiques privées, l'usage à des fins personnelles des fonds secrets et autres frais de représentation, voire les retraits auprès du Trésor public des prises en charges financières pour des évacuations sanitaires fictives, médicales ou dentaires, les hommes au pouvoir à Bangui n'ont rien à envier aux Dalton, les vais et leurs sosies. Ils sont la honte de la RCA (6). Dans ces dernières extrémités, l’enquête a posteriori de l’Inspection générale des armées est une diversion qui ne trompe personne.

Il est temps que les choses changent. Radicalement !

 

Paris, le 10 avril 2025

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.

 

(1)   – La scène filmée à Zawa date de moins d'un mois et est corroborée par des faits de même nature à Sosso Nakombo, le village natal du président de la délégation spéciale de la ville de Bangui où des jeunes ont été victimes des mêmes violences. On attend les protestations de M. Émile Gros-Raymond Nakombo, lequel avait pris l'initiative de baptiser le marché de Pétévo du nom de Professeur Faustin Archange Touadéra avant d'être désavoué! Si les événements de Zawa remontent à un an, comment personne n’en a parlé, en ces temps d’accélération de la circulation des informations ? A moins que le chef d’état-major des armées n’ait une conception élastique de la notion de « secret défense » ? Là, il s’agit de la sécurité et de l’intégrité physique de femmes (dont l’une est enceinte) et d’enfants. L’information aurait dû être remontée en temps réel !

(2)   - Si les mines étaient désaffectées et abandonnées, ils auraient dues être remblayées et restituées à la nature à la charge des exploitants, ou traitées de manière à devenir des points d'eau pour le bétail ou transformées en sites de biodiversité (oasis). Le ministère des mines doit en la circonstance revoir le cahier des charges et les termes de référence des contrats d’exploitation des différents sites miniers du pays.

(3)   - Les soldats sanctionnés sont jugés par une cour martiale, après enquête et respect des droits de la défense, et non d'une commission de discipline comme des agents de la fonction publique ordinaire ou des collégiens perturbateurs.

(4)   - Si les militaires fautifs ont été sanctionnés, pourquoi procéder à une enquête a posteriori ? L’infliction revendiquée ici n’est pas une simple nuisance ou affliction, mais la mise en danger de la vie d’autrui, doublée d’une non-assistance à personne en danger pour la femme enceinte, d’un usage disproportionné de la force et d’un trouble à l’ordre public.

(5)   - Victor Bissengué et Prosper Indo : « Barthélémy Boganda. Héritages et Vision. L'Harmattan, Paris, 2018. Apparemment, nos soldats et leurs hauts gradés ignorent encore comment Barthélémy Boganda est devenu orphelin !

(6)   - Quelques esprits chagrins s'étonneront de ne pas voir apparaître le prénom Fidèle dans cette scénographie. Soit ! Fidèle est à Faustin, ce que Laurel est à Hardy, son alter ego. C'est comme une figurine et son ventriloque ; l'une ne va pas sans l'autre, l'une n'existe pas sans l’autre.