« J'ai vu naître mon pays » !

 

« J'ai vu naître mon pays », cette sentence empruntée à Mia Coutou, auteur du roman « La catastrophe des absences », traduit bien mon état d'esprit actuel et, bien au-delà, celui de toute une génération de jeunes Centrafricains née avant les indépendances.

J'ai vu naître mon pays car j'ai 74 ans et la RCA a dix ans de moins, puisqu'elle a vu le jour le 1er décembre 1958, et ne sera indépendante que le 13 août 1960 !

 

Nous étions convaincus former la nouvelle génération, ce 1er décembre 1958 à Grimari, jour de la proclamation de la République centrafricaine, en voyant monter le drapeau de « nos » cinq couleurs au chant de La Renaissance, le nouvel hymne national dont le refrain devait nous servir de guide :

 

« Au travail, dans l'ordre et la dignité,

Dans le respect du droit et dans l'unité,

Brisons la misère et la tyrannie,

Brandissons l'étendard de la Patrie ! »

 

Armés de cet idéal, nous avons travaillé dur à l'école, puis au collège et au lycée. Nous voulions être les meilleurs, des « Évolués » comme on disait de nos pères sous la colonisation.

Nous avons ensuite parcouru le Sahara et traversé la Méditerranée, non pour exercer de sales boulots ou par agrément, mais pour continuer à nous instruire encore davantage, devenir chacun l'égal du colonisateur, le Maître !

Nous avons réussi mais le pays a échoué ! La faute aux médiocres qui ont pris le pouvoir et l'ont détourné à d'autres fins, à leurs propres fins.

 

Les médiocres ? Oui, tous ceux qui ont reçu la même instruction que nous – ils sont professeurs ou docteurs en philosophie, droit, mathématiques, histoire ou géographie – mais n'ont pas bénéficié, de la part de papa et maman, de l'éducation qui fait de tout être humain un honnête homme.

Ils n'ont pas connu l'initiation dispensée en brousse, par les sorciers guérisseurs – les maîtres forgerons - à l'occasion des circoncisions : le courage individuel, la vie collective et ses contraintes, le partage, la solidarité, l'abnégation au profit d'autrui, devenu l'ami, le frère de sang …

Les médiocres ? Ils ont installé la timocratie, plié la République à leur dessein et pillé l’État. Fin de partie !

 

Il nous faut désormais reconstruire, « Penser la République centrafricaine ». Au plan de l'esthétique, de l'éthique, de la politique et de l'économique. Aristote l'a prédit : la timocratie dégénère toujours en démocratie, une forme pervertie mais plus proche de la République.

J'ai vu naître mon pays et en connaît le fondement, parce que mon père et ma mère me l'ont enseigné, par l'exemple.

Le chef est celui qui mange en dernier, lorsque tout le monde est repu.

Le chef est celui qui se couche en dernier, lorsque tout le monde est perclus de fatigue.

Le chef est celui qui se lève en premier, humer l'air du temps et réfléchir aux tâches à accomplir.

Le chef est celui qui marche en avant, pour donner le rythme mais sans mettre la barre trop haut, afin que tout le monde le suive.

Telle est la Voie de l'Excellence !

 

J’ai vu naître mon pays et je meurs de le regarder se consumer, lentement mais sûrement ; bridé par un clan, confisqué par tribalisme, violé par quelques hordes barbares qui se prétendent Libérateurs !

J’ai vu naître mon pays et me désole de le voir asservi par une coterie cupide, égoïste et dangereuse, parce que sectaire :

-         Ils ont en eux comme un penchant qui les incline à la servitude et à la servilité, allant d’un maître à l’autre, cent ans après Batouala, chien de brousse ; « Si les Russes veulent nos femmes, nous les leur donnerons », a dit le ministre conseiller spécial du président !

-         Ils ont de la politique une lecture théocratique, « nous sommes nés pour gouverner » disent-ils. Ils se proclament élus de Dieu et Apôtres du Seigneur, c’est selon, ayant appris les versets bibliques par cœur, E ma na bê, pour impressionner, manipuler et … diviser !

-         Ils sont à la République ce que les adeptes de « L’Eglise de Jésus-Christ des Saints des derniers jours » sont à la chrétienté, les Cavaliers de l’Apocalypse !

 

J’ai vu naître mon pays et ne veux plus fuir, me cacher ou m’exiler, m’exposer aux sarcasmes des uns et au « brutalisme » des autres, subir partout leur « inimitié » au prétexte que je suis l’Etranger !

J’ai vu naître mon pays et entend désormais résister, m’opposer à l’envahisseur du Nord ainsi qu’au prédateur venu d’un Orient lointain.

J’ai vu naître mon pays et entend résister sur place, contre mes frères qui votent des lois injustes, tiennent des propos discriminatoires, prennent des décisions arbitraires et prononcent des condamnations expéditives sans jugement, tous actes qui ne méritent ni excuse ni pardon !

J’ai vu naître mon pays et n’ai plus honte.

Je suis Centrafricain !

 

Paris, le 26 décembre 2022

 

Prosper INDO

Économiste,

Consultant international.