La Banque mondiale va "intensifier" son contrôle du projet pétrolier au Tchad
LE MONDE, mise à jour du 17 septembre 2002 15h59

La banque mondiale peut-elle éviter à un projet pétrolier en Afrique de tomber dans les travers des détournements de fonds et de la pollution de l'environnement ? C'est l'enjeu, au Tchad, du projet de Doba, le plus important investissement privé en Afrique subsaharienne, auquel la Banque apporte son soutien. Réagissant aux critiques d'un panel d'inspection, le conseil d'administration de la Banque mondiale a décidé, jeudi 12 septembre, "d'intensifier -sa- supervision".

Le projet, dont l'opérateur est ExxonMobil, vise à exploiter un champ pétrolifère de 145 millions de tonnes dans le sud du Tchad.

Le brut sera évacué par un oléoduc de 1070 km, via le Cameroun, jusqu'à la côte. L'opération devrait générer, sur une vingtaine d'années, 9 milliards de dollars dont 1,7 milliard au Tchad et 500 millions au Cameroun. Le projet n'aurait pas pu démarrer sans la caution de la Banque, qui a décidé d'y participer en juin 2000 en apportant près de 500 millions de dollars sur les 3,7 milliards d'investissements nécessaires. Cette participation était liée à des dispositifs censés garantir que les revenus profiteraient à tous les Tchadiens, et que la construction respecterait les droits des populations locales et l'environnement.

L'efficacité de ces dispositifs est mise en cause par le panel d'inspection : la consultation des populations aurait été menée, "au moins avant 1997", en présence de soldats ; il n'y aurait pas eu d'études sur ses "effets cumulatifs"sur l'environnement, pas plus que sur son impact régional. Mais, surtout, la capacité de l'Etat tchadien à gérer les revenus du pétrole (qui doubleront son budget dès 2004) est mise en cause. Les travaux d'installation des puits d'extraction et de l'oléoduc avancent beaucoup plus vite que ne s'améliorent lesdites capacités gestionnaires. Le pétrole devrait commencer à couler en juin 2003, alors que les institutions chargées de "porter" l'économie pétrolière sont loin d'être opérationnelles.

 

RÉPONSE ÉVASIVE

Ainsi, au mois de mai, le Collège chargé de contrôler que les revenus pétroliers serviront à financer des besoins prioritaires (santé, éducation, etc.), n'avait pas même un local pour se réunir ; seuls deux de ses membres avaient suivi une formation pour lire un budget d'Etat ou le bilan d'une société pétrolière. Par ailleurs, le "compte spécial pétrole", sur lequel le contrôle devra s'exercer, n'est toujours pas domicilié ; le sera-t-il dans une banque tchadienne (comme le voudrait le gouvernement), auprès de la Banque centrale de l'Afrique centrale (dans le respect de l'orthodoxie de la zone franc) ou dans une banque d'affaires à l'extérieur du Tchad (ce qui permettrait, le cas échéant, de bloquer les fonds) ?

Le Conseil d'administration n'a répondu que de manière évasive à ces critiques, se contentant d'exprimer "son fort soutien au projet et à sa focalisation sur la réduction de la pauvreté". En privé, les spécialistes de la Banque affirment que la principale faiblesse du projet tient aux "capacités humaines locales". Dans un pays aussi pauvre que le Tchad, expliquent-ils, il serait difficile de "trouver 40 hommes de qualité, de leur donner les moyens de travailler et surtout de pérenniser leur engagement". Mais pour les ONG qui suivent le dossier, la réponse de la Banque est un faux-fuyant : "Ce projet n'aurait pas été lancé sans l'appui de la Banque", dit Korinna Horta, de Environmental Defense, une association américaine. "Sa responsabilité est donc très grande. La Banque avait placé la réduction de la pauvreté en priorité, et maintenant elle dit que la pauvreté est hors de son contrôle." La controverse n'est pas près de s'éteindre. Du côté camerounais, plusieurs ONG et syndicats préparent une nouvelle saisie du Panel, qui devrait conduire à une nouvelle inspection critique. Les plaintes porteront sur le non-respect de l'environnement, sur l'insuffisance de l'attention portée aux populations autochtones, et sur des licenciements abusifs.

Sur le plan politique, la situation échappe également au contrôle de la Banque mondiale. le président tchadien Idriss Déby a, certes, tout concédé pour faire démarrer l'exploitation, mais comment la Banque évitera-t-elle que la rente pétrolière ne pérennise son régime ? Dans l'immédiat, non loin de Doba, la tension est vive sur la frontière avec le Centrafrique, où un accrochage meurtrier a opposé, le 6 août, des forces tchadiennes et centrafricaines. Or, une centaine de militaires libyens assurent, à Bangui, la sécurité du président centrafricain Ange-Félix Patassé, alors que le colonel Khadafi tient déjà la clé pour la paix dans le Nord du Tchad, puisqu'il abrite le mouvement rebelle de l'ex-ministre tchadien de la défense, Youssouf Togoïmi, entré en dissidence... Autant d'éléments qui fragilisent les précautions dont la Banque essaie d'entourer le projet pour en faire un "modèle".

Hervé Kempf et Stephen Smith


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