Côte d'Ivoire : l'instabilité, la poudrière, la France et la force d'interposition africaine (revue de presse)


Paris dépêche 70 parachutistes supplémentaires en Côte d'Ivoire

ABIDJAN (Reuters), 01 oct 2002 12:48 - L'armée française a dépêché en Côte d'Ivoire 70 parachutistes supplémentaires pour installer un état-major tactique et préparer l'arrivée d'une force ouest-africaine.
Les bérets rouges de la 11e Brigade parachutistes (11e BP), placée sous le commandement du général Emmanuel Beth, ont embarqué à bord d'un vol spécial qui a décollé à 12h00 de l'aéroport de Toulouse-Blagnac.
L'appareil devait rejoindre Abidjan dans la journée.
"Il s'agit, dans le cadre de la coopération, d'assurer la sécurité des Français et de tous les étrangers sur l'ensemble du territoire", a expliqué le lieutenant-colonel Ange-Antoine Leccia.
L'officier français a ajouté que l'envoi de ces nouveaux renforts ne signifiait pas que l'ancienne puissance coloniale était disposée à prendre parti aux côtés du président Laurent Gbagbo.
A Toulouse, un porte-parole de l'unité a précisé que ces hommes devaient également "coordonner le soutien logistique que Paris a décidé d'apporter aux forces armées nationales de Côte d'Ivoire et préparer l'arrivée de la force interafricaine d'interposition".
La Côte d'Ivoire, longtemps pays-phare de l'Afrique de l'Ouest pour sa prospérité économique et sa stabilité politique, est en proie depuis le 19 septembre au soulèvement d'une partie de son armée.
Les insurgés contrôlent toujours une partie du Nord et du Centre et dimanche les 15 pays de la Communauté économique de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) ont annoncé leur intention d'envoyer une force régionale en cas d'échec de sa médiation.
Des troupes françaises stationnées en permanence en Côte d'Ivoire, assistées de renforts venus d'Afrique de l'Ouest et de France ainsi que de forces américaines, ont procédé à l'évacuation de centaines de ressortissants étrangers piégés dans le Centre et le Nord.


Poudrière
Par Jacques AMALRIC, lundi 30 septembre 2002 - Libération

Est-il possible d'arrêter la course à la guerre civile dans laquelle est engagée la Côte-d'Ivoire depuis trois bonnes années ? Telle est la question à multiples inconnues à laquelle est confrontée la France. On comprend que ses dirigeants s'interrogent face à un imbroglio meurtrier dont même les protagonistes, pour ne pas dire les responsables, n'arrivent sans doute plus aujourd'hui à démêler les fils. On voit mal cependant comment Paris pourrait détourner les yeux d'une crise majeure qui menace non seulement 20 000 de ses ressortissants, mais aussi 16 millions d'Ivoiriens et, par contagion, une bonne partie de l'Afrique de l'Ouest. L'histoire récente de l'Afrique est formelle, de la région des grands lacs au Zaïre en passant par la Sierra Leone et le Congo Brazzaville : l'indifférence, même drapée dans le principe de non-ingérence, ne fait à terme qu'aggraver les choses dans des proportions dramatiques. Même s'il y a pas mal de coups à recevoir à tenter d'inverser le cours des événements. Ce qui n'implique pas forcément une intervention militaire, mais au moins une action diplomatique forte et sans doute l'implication, à un degré qui reste à fixer, dans une réaction régionale.

Beaucoup de temps a été perdu depuis que le successeur d'Houphouët-Boigny, Henri Konan-Bédié, à cherché dans l'«ivoirité», c'est-à-dire la xénophobie, la potion magique pour se maintenir au pouvoir, espérant ainsi faire oublier la crise économique dans laquelle sombrait le pays et les revendications croissantes de la population musulmane du Nord. A l'«ivoirité» s'est ajouté, avec le renversement de Bédié en décembre 1999, un autre poison, celui des coups militaires. Ce sont ces deux ingrédients qui rendent la situation d'aujourd'hui si explosive : un Etat faible, tenu en échec par quelques centaines de mutins mal identifiés et présidé par un Laurent Gbagbo mal élu, une armée de papier que les différents responsables ont divisée en autant de milices personnelles, des ambitions redoutables, y compris dans l'entourage présidentiel, et l'exploitation à outrance autant d'un péril étranger qui reste à prouver que de divisions ethniques et religieuses bien réelles.


Une force d'interposition africaine à l'étude
Les chefs d'Etat de la région se sont réunis hier.

Par Thomas HOFNUNG, lundi 30 septembre 2002
Abidjan envoyé spécial - Libération

Etonnant décalage. Au moment où le président ivoirien Laurent Gbagbo prenait place au sommet de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l'Afrique occidentale), convoqué hier après-midi à Accra (Ghana) pour tenter d'éviter un embrasement général en Côte-d'Ivoire, son ministre de la Défense promettait de lancer l'offensive finale contre les mutins.

«Bons offices». L'intervention de Moïse Lida Kouassi, enregistrée la veille par la télévision, visait sans doute à rassurer la population dans l'attente des résultats du sommet d'Accra. Reste que le pouvoir semble accepter à contre-coeur le déploiement d'une force d'interposition africaine qui risque de geler le front, alors que les rebelles contrôlent désormais tout le nord du pays.

Le sommet des quinze chefs d'Etat de la région, qui s'est tenu en présence du président en exercice de l'Union africaine, le Sud-Africain Thabo Mbeki, devait en effet examiner l'envoi de 3 000 hommes dans le cadre d'une mission de «bons offices», comme l'avait annoncé, samedi, le président sénégalais Wade. Il n'était pas question d'aider militairement les autorités ivoiriennes à «réduire les rebelles», avait-il prévenu.

A Abidjan, la population traquait hier les rares informations filtrant sur l'état du front. Le porte-parole de l'armée affirmait à la télé que les «forces loyalistes» auraient infligé de lourdes pertes aux mutins aux abords de Tiébissou. Mais cette information, sujette à caution, n'est guère rassurante : cette localité se trouve à une quarantaine de kilomètres de Yamoussoukro et à quatre heures de route d'Abidjan.

Depuis le début de la crise, il y a dix jours, la capitale économique de la Côte-d'Ivoire vit sous le règne d'une drôle de guerre. La télévision, qui ne diffuse aucune image de combats, ni de blessés, appelle sans relâche à la mobilisation générale : «Ivoiriens, Ivoiriennes, amis de la Côte-d'Ivoire ! Relevons la tête, soyons unis, restons soudés, exprimons notre amour de la Côte-d'Ivoire.» Le pouvoir veut entretenir une vague patriotique, invitant les Ivoiriens à accrocher partout des drapeaux... sans grand succès.

Dans la journée, chacun vaque à ses occupations. Mais, dès la tombée de la nuit, les rues se vident dans une ville soumise au couvre-feu dès 20 heures. Seuls quelques véhicules militaires procèdent à des contrôles musclés sur les rares passants. Les écoles, fermées depuis le 19 septembre, devaient néanmoins rouvrir leurs portes aujourd'hui. Au soulagement de nombreux expatriés, qui prévoyaient déjà de renvoyer en France leurs enfants pour y poursuivre leur scolarité.

«Dépit amoureux». Tendus depuis le début de la crise, les rapports entre les autorités ivoiriennes et Paris se sont quelque peu assouplies ce week-end. Des manifestations hostiles avaient été organisées ces derniers jours devant l'ambassade et la base du 43e Bima. Les quotidiens progouvernementaux accusaient Chirac de «complicité avec les terroristes». «C'est un malentendu», a affirmé le ministre de la Défense, suscité par le «dépit amoureux» : les Ivoiriens espéraient que l'ex-puissance coloniale s'implique directement dans les opérations menées contre les rebelles. Samedi, le gouvernement ivoirien se félicitait de la décision française d'accorder une «assistance logistique». Une décision qui rendra moins irrespirable l'atmosphère d'une communauté française désormais presque tout entière regroupée à Abidjan.


Qu'est-ce qui fait courir les mutins ivoiriens ?
Les meneurs seraient d'anciens militaires, en exil depuis le départ de Gueï. Ils n'auraient pas d'objectif politique.

Par Virginie GOMEZ, lundi 30 septembre 2002 - Libération
Bouaké envoyée spéciale

«Il n'y aura pas d'embuscade sur la route de Tiebissou, nous contrôlons l'axe», assure le sergent Hercule, un colosse haut de 2 mètres. Après avoir ajusté son bonnet, il démarre en trombe, seul au volant d'une Mercedes brinquebalante. Il n'a pas men ti, la route qui mène à la commune est dégagée. Ce qu'il a oublié de préciser, c'est sa destination : la ligne de front. A un tournant, en pleine brousse, plusieurs véhicules et des blindés appuient l'infanterie à l'assaut. «On vient de se battre ici, il y a des blessés graves», rapporte un jeune mutin. On entend à intervalles réguliers des rafales de mitrailleuses lourdes. Du combat dépend le contrôle de Tiebissou, à mi-chemin entre Bouaké et Yamoussoukro, sur la route du sud.

Infiltrés. Avec la même détermination qui le mène vers le front, le sergent Hercule annonce son intention d'être bientôt à Abidjan. La capitale économique est l'objectif déclaré des mutins, ils assurent s'y être infiltrés. Vendredi, lors du dernier jour d'évacuation, des camions armés de mitrailleuses lourdes et des pick-up remplis de soldats brandissant leur Kalachnikov passaient en trombe à travers Bouaké en direction du sud, acclamés par des dizaines de supporters. Peu après, les troupes françaises quittaient la ville. Certaines se positionnaient à quelques kilomètres à l'est, d'autres rejoignaient Yamoussoukro, base des troupes françaises. La perspective d'une offensive loyaliste se précise, la France, de son côté, a changé de discours : elle venait pour évacuer ses ressortissants, elle reste pour apporter à l'armée ivoirienne un «appui logistique» (lire page 4).

Mais, pour les mutins, plus question de s'arrêter en chemin, quels que soient les obstacles. «Je n'emmerde pas la communauté internationale, mais qu'elle ne vienne pas m'emmerder non plus, tempête Hercule. De toute façon, ça passe ou ça casse.» Le géant n'a rien à perdre, il est «déjà mort» et d'autant plus prêt à mourir, s'il le faut, les armes à la main. Abandonnant tout derrière lui, il a quitté le pays après la tentative de coup d'Etat des 7 et 8 janvier 2001, avec le sentiment d'avoir été trahi par une hiérarchie qu'il ne respecte plus.

Le premier mutin à prendre la parole publiquement, l'adjudant Tuo Fozié, est aussi un exilé : il s'est enfui en 2000, après les élections qui ont mené Laurent Gbagbo au pouvoir, il est sous le coup d'un mandat d'arrêt lancé par les autorités ivoiriennes. La route de ses compagnons d'armes a croisé par le passé celle du général Gueï, l'ex-chef de la junte tué le jour où les troubles ont commencé. Les noms des autres lieutenants de Gueï, Zaga Zaga ou IB, circulent dans Bouaké. Tuo Fozié et Hercule sont des sous-officiers, membres de l'armée durant la décennie 90. L'adjudant Fozié était sapeur-pompier, sous le commandement de Gueï, avant de se retrouver «bloqué à la section sport». Où ont-ils passé leur exil ? Sur le sujet, ils restent cois.

Réintégration. A l'origine de la rébellion, il y aurait, selon les mutins, la rencontre entre les frustrations d'une partie des Fanci (Forces armées nationales de Côte-d'Ivoire) et de celles des exilés : les garnisons des Zinzin et Baéfouè, en passe d'être démobilisées, ont, au début de la crise, réclamé leur réintégration. Elles ont fait appel à leurs aînés en exil pour les aider à organiser la revendication. Les militaires expatriés ne sont pas majoritaires dans le mouvement, mais ils disent y être très actifs. L'adjudant Tuo Fozié, bruyamment approuvé par ses hommes, affirme que les troupes des mutins sont constituées d'Ivoiriens de toutes ethnies, sans préciser leur nombre. Le gouvernement affirme le contraire : la Côte-d'Ivoire est agressée par une «puissance étrangère», des «terroristes» selon le vocabulaire en usage dans les médias nationaux.

S'il y a un commandement central à l'étranger, en Côte-d'Ivoire il reste caché. A Bouaké, on rendait compte à un chef, l'adjudant Tuo Fozié. Même si on n'utilise pas officiellement les grades, certains mutins s'adressent au sergent Hercule en l'appelant «commandant»; il a sur les hommes une autorité certaine et un pouvoir de coordination d'une action militaire. L'organisation des attaques du 19 septembre, visant des objectifs militaires en trois points différents, la progression des mutins sur le terrain, vers l'ouest notamment, laissent peu de place au doute : ils sont disciplinés et organisés. Ils ont un sens certain de la stratégie militaire, disposent d'armements lourds, «pris dans les stocks de l'armée ivoirienne», précise Tuo Fozié à ceux qui l'interrogent sur la provenance de cet arsenal. Sous contrôle de leur chef, les hommes de troupe se sont jusqu'à présent bien conduits avec la population. Ils utilisent des stations d'essence, mais ils ne pillent pas les boutiques attenantes et, selon plusieurs témoignages, ils payent ce qu'ils achètent. Dimanche, les gens circulaient à pied en dépit de l'offensive loyaliste annoncée .

Redresseurs de torts. Les mutins, qui refusent le qualificatif de rebelles, se présentent comme des redresseurs de torts. Ils sont aussi des déçus de l'armée. «Absence d'avancement, manque de matériel, tribalisme», énumère Hercule. Officiellement, ils ne demandent pas le départ de Gbagbo. Et ni Robert Gueï ni Alassane Ouattara ne sont derrière eux. «La politique, je m'en fiche», résume Hercule, mais il veut que «le régime change», au profit d'une «vraie démocratie». Nécessité de justice et d'union, précise Tuo Fozié. En l'absence de visage politique, l'incertitude plane sur les desseins à long terme des mutins. Ils parlent en militaires, ils ont des objectifs, à défaut de programmes déclarés, ils sont loin d'être un mouvement de va-nu-pieds, comme d'autres rébellions de la région.


Trois clés pour comprendre la crise actuelle
L'éventuelle implication étrangère reste sujette à caution

Par Christophe AYAD, lundi 30 septembre 2002 - Libération

 

De nombreuses zones d'ombre continuent d'entourer les troubles en Côte-d'Ivoire. Tentative d'éclaircissement.

1 Simple mutinerie ou coup d'Etat téléguidé?

La thèse de la mutinerie de soldats démobilisés de force demandant leur réintégration dans l'armée ne tient pas. De simples mutins auraient-ils attaqué simultanément les trois premières villes du pays, Abidjan, Bouaké et Korhogo ? Auraient-ils eu l'audace d'attaquer en même temps, jeudi 19 septembre à l'aube, les domiciles des ministres de la Défense et de l'Intérieur ainsi que le camp de la gendarmerie d'Abgan, le corps le plus fiable et dévoué au régime, et la résidence du chef d'état-major, Mathias Doué ? Leur armement, neuf, ne provient pas, selon des sources concordantes, des arsenaux ivoiriens, en pitoyable état. Leur discipline et leur comportement, très correct à l'égard des civils de Bouaké, où, contrairement à l'habitude, aucun pillage n'a été commis, ne plaident pas pour une mutinerie classique. Les insurgés semblent n'avoir aucun problème d'argent (ils payent cash) ni de matériel (ils sont équipés de téléphones satellitaires flambant neufs). Il semble clair qu'il existe un donneur d'ordres qui coordonne le mouvement et un financier, ivoirien ou étranger, mais il paraît prématuré de le désigner, comme le fait le pouvoir ivoirien, en parlant du Burkina Faso de Blaise Compaoré.

2 Qui sont les rebelles?

Depuis sa «conférence de presse» de jeudi, l'identité du chef des rebelles à Bouaké est connue : il s'agit de l'adjudant Tuo Fozié, ancien commandant d'un bataillon de blindés à Abidjan parti se réfugier à l'étranger en octobre 2000, après la chute du général Gueï. «Nous sommes des militaires, ce n'est pas un mouvement à caractère politique», a-t-il indiqué, précisant que des militaires ivoiriens en exil, dont il fait partie, sont à l'origine du soulèvement.

Le parcours politique de Fozié est difficile à décrypter, mais il semble appartenir à l'armée ivoirienne de la «vieille école», celle de Robert Gueï et du chef d'état-major Mathias Doué: après avoir participé au coup d'Etat de Gueï en décembre 1999, Fozié s'est brouillé avec lui. Recherché depuis la tentative de coup d'Etat des 7 et 8 janvier 2001 par la justice militaire ivoirienne, il avait disparu à l'étranger. Au Burkina, accuse l'entourage du président Gbagbo, évoquant avec insistance l'implication d'IB, un proche de Ouattara et de Blaise Compaoré. Tuo Fozié n'est pas le seul à avoir suivi ce parcours : plusieurs militaires recrutés par Gueï pour assurer sa garde personnelle avaient fui le pays après sa défaite à la présidentielle d'octobre 2000 face à l'actuel chef de l'Etat, Gbagbo.

Des témoins, ivoiriens et occidentaux, assurent avoir entendu des rebelles parler anglais et portant des scarifications, concluant qu'il s'agissait de mercenaires libériens. Cette information - qui reste à vérifier - prouverait, selon les proches du pouvoir, l'implication de Gueï, longtemps proche du Liberia de Charles Taylor, et du Burkinabé Compaoré, qui a soutenu Taylor tout au long de sa conquête du Liberia, mais dont il s'est distancié ces derniers mois. Reste que, jusqu'à preuve du contraire, la plupart des insurgés sont ivoiriens.

3 Quelles sont leurs revendications?

Pour l'instant, Tuo Fozié et les rares rebelles interrogés (ils limitent au maximum leurs contacts avec la presse) n'ont évoqué aucune revendication politique : «Il n'y a aucun chef politique derrière nous à ma connaissance. Robert Gueï ou Alassane Ouattara ne sont pas derrière cette histoire», a expliqué Tuo Fozié. Le mouvement, explique-t-il, vise à réintégrer 750 soldats démobilisés de force, ceux justement recrutés par Gueï. «Des officiers supérieurs nous ont aidés pour la mise en place de notre stratégie et la mise en oeuvre des actions», a toutefois déclaré un porte-parole des mutins de Bouaké, le caporal Alexis Kouadio, relançant l'hypothèse d'un coup intérieur.

Du côté du président Gbagbo, on accuse une coalition hétéroclite rassemblant l'ex-chef de la junte, Gueï, le principal opposant, Ouattara, et le président burkinabé, Compaoré. Gueï n'avait jamais digéré sa défaite face à Gbagbo et nombre de ses anciens proches semblent impliqués. Mais, comme l'indiquait Libération dès le 23 septembre, Gueï semble avoir été «exécuté» avec toute sa famille et son aide de camp dès les premières heures du soulèvement : il a probablement servi de bouc émissaire et ses «ressources» ont été utilisées par quelqu'un d'autre. Quant à Ouattara, aujourd'hui accusé par le pouvoir d'être le véritable bénéficiaire du «coup», pourquoi l'avoir escorté le vendredi 20 septembre à l'aube de l'ambassade d'Allemagne puis à l'ambassade de France ? Pourquoi le ministre de la Défense, Moïse Lida Kouassi, dont la famille, attaquée par les rebelles jeudi, est, elle aussi, réfugiée à l'ambassade de France, a-t-il délivré un permis de sortir du territoire à Ouattara l'après-midi même ?

Où est passé le populaire et respecté chef d'état-major Mathias Doué, invisible depuis le début des troubles ? «Le général Doué est bel et bien vivant, a assuré hier le ministre de la Défense. Nous l'avons rencontré tout à l'heure quand il est venu faire le point (...). Il joue parfaitement son rôle. Il n'y a pas d'ambiguïté.» Reste que les Ivoiriens n'ont vu de lui que des images d'archives à la télé. Pourquoi, enfin, le ministre de la Défense est-il le seul responsable à s'exprimer régulièrement à la télévision ? Pourquoi sa femme reste-t-elle à l'ambassade de France alors que la sécurité est officiellement rétablie à Abidjan ? Autant de questions troublantes qui alimentent les rumeurs d'un règlement de comptes au sommet de l'Etat.


Les Etats voisins envoient une force d'interposition
Ce déploiement militaire risque de geler le front.

Par Thomas HOFNUNG, lundi 30 septembre 2002 - Libération
Abidjan envoyé spécial

Etonnant décalage. Au moment où le président ivoirien Laurent Gbagbo prenait place au sommet de la Cedeao (Communauté économique des Etats de l'Afrique occidentale), convoqué hier après-midi à Accra (Ghana) pour tenter d'éviter un embrasement général en Côte-d'Ivoire, son ministre de la Défense promettait de lancer l'offensive finale contre les mutins.

«Bons offices». L'intervention de Moïse Lida Kouassi, enregistrée la veille par la télévision, visait sans doute à rassurer la population dans l'attente des résultats du sommet d'Accra. Reste que le pouvoir semble accepter à contre-coeur le déploiement d'une force d'interposition africaine qui risque de geler le front, alors que les rebelles contrôlent désormais tout le nord du pays.

Le sommet des quinze chefs d'Etat de la région, qui s'est tenu en présence du président en exercice de l'Union africaine, le Sud-Africain Thabo Mbeki, devait en effet examiner l'envoi de 3 000 hommes dans le cadre d'une mission de «bons offices», comme l'avait annoncé, samedi, le président sénégalais Wade. Il n'était pas question d'aider militairement les autorités ivoiriennes à «réduire les rebelles», avait-il prévenu.

A Abidjan, la population traquait hier les rares informations filtrant sur l'état du front. Le porte-parole de l'armée affirmait à la télé que les «forces loyalistes» auraient infligé de lourdes pertes aux mutins aux abords de Tiébissou. Mais cette information, sujette à caution, n'est guère rassurante : cette localité se trouve à une quarantaine de kilomètres de Yamoussoukro et à quatre heures de route d'Abidjan.

Depuis le début de la crise, il y a dix jours, la capitale économique de la Côte-d'Ivoire vit sous le règne d'une drôle de guerre. La télévision, qui ne diffuse aucune image de combats, ni de blessés, appelle sans relâche à la mobilisation générale : «Ivoiriens, Ivoiriennes, amis de la Côte-d'Ivoire ! Relevons la tête, soyons unis, restons soudés, exprimons notre amour de la Côte-d'Ivoire.» Le pouvoir veut entretenir une vague patriotique, invitant les Ivoiriens à accrocher partout des drapeaux... sans grand succès.

Dans la journée, chacun vaque à ses occupations. Mais, dès la tombée de la nuit, les rues se vident dans une ville soumise au couvre-feu dès 20 heures. Seuls quelques véhicules militaires procèdent à des contrôles musclés sur les rares passants. Les écoles, fermées depuis le 19 septembre, devaient néanmoins rouvrir leurs portes aujourd'hui. Au soulagement de nombreux expatriés, qui prévoyaient déjà de renvoyer en France leurs enfants pour y poursuivre leur scolarité.

«Dépit amoureux». Tendus depuis le début de la crise, les rapports entre les autorités ivoiriennes et Paris se sont quelque peu assouplies ce week-end. Des manifestations hostiles avaient été organisées ces derniers jours devant l'ambassade et la base du 43e Bima. Les quotidiens progouvernementaux accusaient Chirac de «complicité avec les terroristes». «C'est un malentendu», a affirmé le ministre de la Défense, suscité par le «dépit amoureux» : les Ivoiriens espéraient que l'ex-puissance coloniale s'implique directement dans les opérations menées contre les rebelles. Samedi, le gouvernement ivoirien se félicitait de la décision française d'accorder une «assistance logistique». Une décision qui rendra moins irrespirable l'atmosphère d'une communauté française désormais presque tout entière regroupée à Abidjan.


Trois années d'instabilité politique
lundi 30 septembre 2002 - Libération

7 août 1960. La Côte-d'Ivoire est indépendante.

27 novembre 1960. Félix Houphouët-Boigny élu président. Il obtiendra sept mandats consécutifs.

7 décembre 1993. Mort d'Houphouët-Boigny. Henri Konan-Bédié le remplace.

24 décembre 1999. Une mutinerie de soldats se transforme en coup d'Etat. Le général Robert Gueï annonce la destitution de Konan-Bédié.

4 janvier 2000. Gueï devient président.

22 octobre. Election présidentielle controversée. Le principal opposant, Alassane Ouattara, accusé de ne pas être « ivoirien», ne peut pas se présenter.

25 et 26 octobre. Un soulèvement populaire chasse la junte. Laurent Gbagbo est déclaré président. Les partisans de Ouattara manifestent.

9 octobre-18 décembre 2001. Forum pour la réconciliation nationale censé mettre fin aux tensions politiques et entrée au gouvernement de proches de Ouattara.

19 septembre 2002. Début des violences à Abidjan, Bouaké et Korhogo. Le ministre de l'Intérieur et le commandant militaire de Bouaké sont tués. Gueï, soupçonné par le gouvernement d'être à l'origine des troubles, est retrouvé mort.

22 septembre. Des militaires français sont envoyés en renfort «pour assurer la sécurité des ressortissants français».

23 septembre. La thèse du règlement de comptes est évoquée par des journaux français. Abidjan la qualifie de «montage grossier».

24 septembre. Des journaux ivoiriens accusent le président burkinabé Blaise Compaoré d'être «le seul et unique déstabilisateur de la Côte-d'Ivoire».

26 septembre. Des soldats français évacuent de Bouaké vers Yamoussoukro plus de 1 200 étrangers, en majorité français. Les régions de Bouaké et de Korhogo sont déclarées «zones de guerre». Les mutins contrôlent Odienné.

28 septembre. Paris annonce apporter son soutien logistique aux autorités ivoiriennes.

29 septembre. Sommet extraordinaire de la Cedeao consacré à la crise ivoirienne.


Le France s'engage en Côte d'Ivoire
Le Figaro - 30 septembre 2002

La France est déterminée à agir pour préserver la stabilité et l'unité de la Côte d'Ivoire et souhaite la mise en œuvre rapide d'une force africaine pour s'interposer entre les troupes loyalistes et rebelles dans ce pays, a souligné hier un haut responsable français à Paris. Cette mise au point intervient alors que la presse gouvernementale et certains milieux ivoiriens ont mis en doute le soutien de Paris au gouvernement du président ivoirien Laurent Gbagbo.

Elle souligne également l'importance que Paris attache au déploiement sur le terrain dans des délais brefs d'une force africaine propre à geler la situation et à éviter que les unités françaises, mobilisées en Côte d'Ivoire pour des missions d'évacuation, ne se retrouvent, de fait, dans un rôle d'arbitre.

«Il n'est pas question de laisser faire une déstabilisation de la Côte d'Ivoire», a déclaré ce responsable qui s'exprimait sous le couvert de l'anonymat. «L'unité de la Côte d'Ivoire passe par le respect des institutions en place», a-t-il ajouté.
Alors que Paris considère les troubles, qui ont éclaté il y a dix jours et ont fait au moins 270 tués et 300 blessés dans la seule ville d'Abidjan, comme un «sujet extrême de préoccupation», la clarification de la position française apparaît comme une mise en garde aux mutins.

Mais celle-ci s'accompagne également d'un appel aux autorités légales: «Nous encourageons Gbagbo à négocier avec les mutins. Il doit nouer tous les contacts politiques, il doit tout essayer», a assuré ce responsable.

Paris souhaite en outre obtenir rapidement que les chefs d'Etats africains au sein de l'Union africaine et de la Communauté économique des Etats de l'Afrique de l'Ouest (Cedeao) apportent leurs contributions à un règlement de la crise.

Un sommet extraordinaire de la Cedeao s'est ouvert dimanche à Accra et doit notamment étudier l'envoi d'une force d'interposition ouest-africaine de 3 à 4 000 hommes.

«Nous sommes soucieux de régler cette crise avec les Africains. Il y a une nécessité à apporter une contribution positive à la stabilité de la région», a souligné le responsable français.

Il a indiqué que le ministre des Affaires étrangères Dominique de Villepin était personnellement engagé dans les efforts de règlement des troubles en Côte d'Ivoire. «Le ministre est pendu au téléphone matin, midi et soir avec les chefs d'Etat africains», a-t-il assuré.

A la demande du gouvernement ivoirien, qui voulait actionner les accords de défense liant la Côte d'Ivoire à la France, Paris avait accepté samedi de fournir «un appui logistique» aux forces armées locales, officiellement sous forme de véhicules, matériels de transmissions et ravitaillement pour la troupe. En plus de cette aide matérielle, la France apporte donc clairement un soutien politique au président Laurent Gbagbo, démocratiquement élu, tout en se défendant d'avoir mis en œuvre l'accord de défense.

Les évacuations d'étrangers menées par des militaires français et américains à Korhogo (nord du pays), l'une des villes contrôlées par les mutins, se sont achevées hier en fin d'après-midi. «Environ 370 ressortissants étrangers, volontaires pour être évacués, l'ont été vers l'aéroport de Yamoussoukro où un centre de regroupement et d'accueil est activé», a déclaré l'état-major français.


Ce que prévoient les accords de défense

AFP, 30 septembre 2002 - Les accords de défense entre la Côte d'Ivoire et la France, invoqués samedi par le premier ministre ivoirien, Pascal Affi N'Guessan, ont été conclus le 24 avril 1961. Assortis de clauses « secrètes », réactualisés régulièrement, ces accords prévoient l'intervention militaire et matérielle de la France en cas de menace venue de l'extérieur. Il n'y a pas d'automaticité dans leur mise en action et la décision d'intervention ne peut être prise qu'après étude par le gouvernement français d'une demande formelle. Dans le cadre de ces accords, 600 hommes du 43e Bima sont stationnés en permanence à Abidjan. S'y sont ajoutés des éléments du 21e Rima de Fréjus et d'un escadron blindé du 1er Rima d'Angoulême, ainsi qu'un renfort d'éléments du 1er Régiment de chasseurs parachutistes de Libreville. Les militaires français ont pour triple mission d'intervenir en cas de crise, de pouvoir soutenir une force multinationale et d'honorer des accords de coopération. Ils interviennent en cas de nécessité pour protéger les ressortissants français. La plupart des accords passés entre la France et ses ex-colonies d'Afrique, signés au lendemain de l'indépendance de ces pays dans les années 60, sont « classifiés » sous des vocables allant de « secret » à « confidentiel défense ». De sorte qu'en 2001, le ministère des Affaires étrangères n'a pu accéder à la requête du Parlement demandant communication du texte de ces accords dans le cadre d'un rapport sur « la coopération militaire et de défense », conduit par le député PS, Bernard Cazeneuve.


L'interposition africaine décidée à Dakar, dimanche 29 septembre 2002


Actualité internationale et Africaine 5